Merveilles du génie de l'homme : découvertes, inventions, récits, historiques, amusants et instructifs sur l'origine et l'état actuel des découvertes et inventions les plus célèbres / Par Amédée de Bast.
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Les livres, avant l’admifable découverte de Gutenberg et
de Schœffer, étaient rares et chers. Ceux qui les confection-
naient, et dont deux au moins étaient versés dans la connais-
sance des langues mortes et vivantes, se faisaienU payer leurs
talents au poids de l’or et par cela même devenaient les plus
grands obstacles à la diffusion des lumières. C’était d’abord
l’écrivain que l’on appelait staüonaire, qui copiait sur les peaux
l’ouvrage que lui confiait le libraire; le parcheminier préparait
ces peaux ; le relieur mettait en volume les feuilles copiées ; l’enlu-
mineur peignait, relevait d’or bruni, en un mot, illustrait,
comme on dit aujourd’hui, ces volumes qui retournaient chez le
libraire pour y être vendus. Ces libraires, que l’on nommait clerc-
libraires, quoiqu’ils ne fissent pas encore partie de rUniversité,
étaient des gens instruits en toutes seiences et renommés presque
tous par leur probité et leur dévouement aux lettres. Pour
donner une idée du prix de ces livres, nous citerons un contrat
passé en 1332 par-devant deux notaires de Paris, et par lequel
Geoffroy de Saint-Léger, clerc-libraire, reconnaît et confesse
avoir vendu, cédé, quitté et transporté sous hypothèque, tous et
chacun des biens, et garantie de son corps même, un livre
intitulé ; Speeulum liistoriale in consuetuclines parisienses,
divisé et relié en quatre tomes, couvert de cuir rouge, à noble
homme, messire Gérard de Montagu, avocat du roi au Parlement,
moyennant la somme de quarante livres parisis * dont ledit libraire
se lient pour content et bien payé.
Il ne faut pas s’étonner si la découverte de Gutenberg et de
ses deux associés mit en émoi tous ces hommes qui vivaient litté-
ralement de leur plume. Ils perdaient d’un seul coup leur pain et
leur talent ; la hideuse pauvreté allait remplacer le bien-être, car
le talent improductif est une misère de plus. Les écrivains, les
enlumineurs, les relieurs, les parcheminiers et les libraires eux-
mêmes crièrent à la magie, au scandale, au secret diabolique, au
* Quarante livres parisis, en 1332, valaient plus de six cents francs de notre,
monnaie d’aujourd’hui.